Amédée, 19 ans, suite à un accident tombe dans le coma. Neuf mois plus tard, il se réveille entièrement paralysé, l'esprit intact dans un corps hors d'usage, incapable de communiquer avec le monde extérieur. Autour de lui s'organise le ballet de ses proches et de leurs angoisses. Face au découragement des médecins et à l'éloignement progressif de ceux qu'il aime, Amédée renonce et demande à mourir…
Une réflexion toujours d’actualité sur la dignité de l’existence, le poids des normes sociales et économiques, la question encore débattue de savoir si nous pouvons disposer de notre propre vie.
extrait :
Dans la chambre d’Amédée.
LA MÈRE. — Tu veux que je te change le coussin ? Oui ? Quand t’étais bébé, c’était pareil. Au tout début, impossible de savoir ce que tu voulais. Je m’arrachais les cheveux, t’avais soif, t’avais pas soif, tu voulais être sur le ventre, le dos, je ne savais jamais pourquoi tu pleurais. Peu à peu, j’ai réussi à comprendre ton langage de nouveau-né, comme un instinct que je découvrais, je réfléchissais plus à mes gestes. Je te changeais, je te donnais le bain… J’arrivais à ce que tu ne pleures jamais, parce que j’anticipais tout ce que tu voulais. Même le pédiatre disait que tu ne pleurais pas assez. C’est à ce moment que ton père est parti. Il n’est pas venu te voir, tu sais. Quoiqu’il fasse, il nous empoisonne la vie. Il se met à boire de plus en plus. Quel exemple ! Je lui ai dit. Il ne sait rien faire d’autre que de se plaindre et de se lamenter. Je suis bien heureuse qu’il ne vienne pas te démoraliser. (Le visage d’Amédée devient rouge il est comme pris de hoquets.) Amédée ? (Tout son corps tressaille.) Tu t’étouffe ? Il est en train de s’étouffer ! (Elle sonne.) Y a quelqu’un ? Docteur ! Docteur ! (Elle va dans le couloir.) Quelqu’un, s’il vous plaît, il s’étouffe ! il y a quelqu’un ? (Elle retourne dans la chambre.) Ça va aller, mon poussin. T’inquiète pas. Amédée ! (Elle retourne dans le couloir et hurle.) Au secours ! (Un infirmier entre en courant, elle fait pénétrer une sonde dans la gorge d’Amédée pour lui extraire des glaires qui l’étouffaient. La mère sanglote.) Si je n’étais pas restée, vous l’auriez laissé s’étouffer !
L’INFIRMIER. — Je suis désolé Madame, on ne peut pas se dédoubler.
LA MÈRE. — Je ne peux pas vivre ça. Je vais crever de peur. J’en ai marre. Marre !
L’INFIRMIER. — Ça va, Madame, ça s’est bien passé. C’est spectaculaire, mais ça n’est pas grave. (Il ressort. La mère va s’asseoir à côté de Amédée et reste en silence.)
*****
CLOV. — Imagine, ses cuisses entrouvertes, tu glisses ta main et tu sens la chaleur. Maintenant, c’est elle qui te caresse en même temps. Tu te concentres ? Elle te masse les ... .
AMÉDÉE. — Laisse-moi, j’ai pas besoin de toi.
CLOV. — Elle te déboutonne, puis elle la tient dans sa main, elle caresse, de temps en temps, elle en embrasse le bout, tu sens la chaleur de sa bouche, elle souffle un air chaud…et puis elle lèche. Elle te lèche tout du long. Elle te suce le …
AMÉDÉE. — Casse-toi. Laisse-moi.
CLOV. — Elle passe aux choses sérieuses. Elle est face à toi et elle se touche. Ça y est, elle s’assied sur ta … , et elle commence le mouvement de va et vient.
AMÉDÉE. — Putain, pourquoi, ça vient pas.
CLOV. — Concentre-toi... mais respire, ça va venir tout seul. Elle s’excite, elle donne des grands coups de bassin.
AMÉDÉE. — Ça ne vient pas. Putain, barre-toi !
CLOV. — Vas-y plus vite, tu ne mets pas assez d’entrain. Elle se cambre pour que tu la voies…elle crie, comme ça, Han ! Han ! Han ! Oui ! Oui ! Elle prend son pied !
AMÉDÉE. — (Rouge comme une écrevisse) Je ne sens rien, j’ai la peau qui va partir en lambeau. Ça ne vient pas, rien ne vient.
CLOV. — Parce que… ça ne viendra plus.
AMÉDÉE. — Ça ne viendra plus ?
CLOV. — Non.
AMÉDÉE. — Jamais ?
CLOV. — Jamais. (Pause.)
AMÉDÉE. — Ferme ta gueule. Ferme ta gueule de merde ! Ta sale gueule ! (Il pousse un cri profond.)
*****
LE CAPITAINE. — Salut Amédée, mon ami ! Je t’ai apporté de quoi écouter de la musique. J’ai demandé au disquaire. Je lui ai dit que t’es un héros et qu’il te faut de la grande musique… Alors, j’ai pris de la trompette, clin d’oeil de pompier. (Il met la musique.) Qu’est-ce t’en penses ? J’ai toujours aimé la trompette. Écoute, tu le vois ? Tu le vois, le bonhomme grimpé sur les décombres et les ruines, prêt à défier les éléments ? Imagine que pour toi, c’est pareil : Il y a du feu partout, c’est la désolation, et tu grimpes sur un monticule fumant, tu regardes la mort en face… la musique devient plus forte, tu gonfles ta poitrine, tu montes les bras au ciel, et tu jures que jamais tu ne renonceras, et qu’il faudra te terrasser pour abandonner ! Là, les éléments se taisent, la mort plie un genou, et dépose les armes. La trompette retentit, elle annonce la fin du combat et la victoire. Tu vacilles car tu ne pensais pas qu’elle serait là, si proche, et tu fonds en larmes. Il faut se raconter des histoires avec la musique, il faut se raccrocher à une histoire pour que les émotions aient un sens. (Silence.) Elle n’est pas revenue ? (Pause.)