Edouard Elvis Bvouma (Cameroun) : “Not Koko’s notes” 

Nono veut chanter comme son idole Koko mais son père, haut fonctionnaire, s’y oppose. Koko est celle qui, aux portes de la gloire, a déclenché la colère du Président en chantant un soir de cérémonie officielle la mauvaise chanson. Elle sera emprisonnée et sa carrière brisée. Nono réalisera son rêve quelques années plus tard à Paris où elle rencontrera Koko, en exil, qui a refait sa vie et renoncé à chanter...

Inspiré de la vie de Koko Ateba, le récit puissant de destins croisés où la parole résonne comme un chant. 


Extrait :

1.

KOKO :

Je m’appelle Koko.

J’ai une belle voix il parait.

C’est ce qu’on dit depuis que je suis petite.       

C’est ce que tout le monde disait au village.

Que je chante bien.                       

Comme un rossignol il parait. 

Je chante bien je sais mais je sais que je chante pas comme un rossignol et même que je chante moins bien qu’un rossignol.

Je connais le chant des rossignols j’en écoutais souvent à la rivière. 

Mais je chante bien il parait comme un ange il parait il parait que mon chant et le chant des anges c’est pareil. 

C’est ce qu’ils disaient tous à la chorale le dimanche mais je sais que je chante pas comme un ange.

Je ne connais pas le chant des anges et si ça se trouve je chante moins bien qu’un ange.   

Même ceux qui disent-disaient que je chante-chantais comme un ange ne connaissent-connaissaient pas le chant des anges.

Je ne chante pas comme un ange pas comme un rossignol.

Je chante comme grand-mère.

 C’est fou ce qu’elle a la même voix que sa grand-mère que j’ai toujours entendu dire dès que j’ouvrais la bouche pour chanter.

J’ai la voix de grand-mère c’est ce qu’on dit depuis que je suis petite que ma voix est la voix de grand-mère en plus petit.

La voix c’est la seule chose dans le corps qui ne vieillit pas qu’elle m’avait dit grand-mère quand je lui ai demandé si c’était vrai que j’avais la même voix qu’elle ; si en écoutant ma voix elle entendait sa voix à elle.

Et pour entendre ma voix je fermais les yeux et j’écoutais parler grand-mère.

Pour m’entendre chanter je disais à grand-mère Mbombo chante-moi une chanson et ma voix résonnait dans mes oreilles par la voix de Mbombo.

Et pour m’endormir je disais à grand-mère Mbombo, raconte-moi une histoire et Mbombo disait Histoire je disais Raconte !

Histoire…

Raconte !

Histoire…

Raconte !

Il était une fois…

Et elle racontait. 

Elle racontait un conte.

Puis un autre conte.

Et des contes à n’en plus finir.

J’aimais les contes.

J’aime-j’aimais les contes parce que j’aimais les contes de grand-mère entendre grand-mère me conter des contes. 

Ce que j’aimais surtout dans les contes de grand-mère c’est quand grand-mère s’arrêtait de conter pour chanter avant de continuer à raconter.

Parce qu’au milieu des contes de grand-mère il y avait toujours une chanson.

Quand le jeune lièvre têtu malgré les prescriptions de sa mère se trouve pris au piège tendu par l’homme il se met à chanter pour appeler sa mère.

Quand l’orphelin maltraité par sa marâtre se retrouve seul en forêt dans la nuit pour chercher la cuiller perdue à la rivière il se met à chanter. 

Quand Atemengue la première épouse délaissée par son mari qui lui préfère la deuxième parce qu’elle ne peut pas faire d’enfant se retrouve seule à la rivière elle se met à pleurer et son pleur se transforme en chant.

Son pleur devient un chant mais alors quel chant !

Triste chanson qui fait pleurer la lune dans le ciel.

Triste chanson qui fait pleurer le soleil.

Triste chanson qui fait pleurer les oiseaux et tous les animaux de la forêt.

Triste chanson qui fait pleurer même les poissons de toutes les eaux de la contrée.

Triste chanson qui me faisait à chaque fois pleurer.

C’était ma préférée.

Et l’histoire d’Atemengue est devenue mon histoire préférée.

(...)

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