Hala Moughanie (Liban) : “La mer est ma nation”

Un homme et sa femme vivent dans un faubourg de bord de mer que les déchets ont envahi. Ils entendent dire un jour que des réfugiés, fuyant le pays voisin en guerre, arrivent en ville. Sans doute certains voudront-ils s’installer chez eux. Que faire ? Installer une barrière ? Se réjouir de cette nouvelle compagnie ? Surgissent deux femmes, une mère et sa fille au parler étrange. Les territoires dès lors vont se redistribuer...

Un théâtre de la confrontation d’une vigueur étonnante, à l’humour décapant pour déjouer les préjugés et déplacer les frontières de l’ordre établi.

extrait

(...)

 

Le mari : Regarde ce que j’ai trouvé !

 

Sa femme : Un flacon de parfum ?

 

Le mari : Oui !

 

Sa femme : Plein ?

 

Le mari : Non.

 

Sa femme : Et alors ?

 

Le mari : Alors je n’avais jamais vu cette marque jamais et donc par simple déduction de mon cerveau fonctionnel je peux te dire que la ville est envahie par les étrangers ils viennent en groupe ils sont partout ils parsèment leurs flacons de parfum étrangers et vides et en nombre croissant dans nos poubelles.

 

Sa femme : Je ne vois pas où tu veux en venir.

 

Le mari : Pendant que tu rêvasses au passé eux se frayent un chemin jusque notre maison je vois bien que leur arrivée est immédiate.

 

Sa femme : Et tu penses qu’ils viendraient là?

 

Le mari : Oui.

 

Sa femme : Ici tu veux dire?

 

Le mari : Oui.

 

Sa femme : Mais pourquoi ?

 

Le mari : Pourquoi pas ?

 

Sa femme : Et qu’est-ce qu’ils viendraient faire chez nous?

 

Le mari : Je ne sais pas (un temps) attendre.

 

Sa femme : Attendre quoi?

 

Le mari : De repartir.

 

Sa femme : Repartir ou?

 

Le mari : Je n'en sais rien moi de repartir quoi soit pour rentrer chez eux soit pour aller plus loin qu'ici.

 

Sa femme : Et ils viennent d'où ces gens-là?

 

Le mari : D’un Orient plus compliqué que le nôtre probablement.

 

Sa femme : C’est vaste ça…

 

Le mari : Mais ils viennent de la zone en guerre évidemment d’où voudrais-tu qu’ils viennent ?

 

Sa femme : Ah bah ! Ah bah !

 

Le mari : Bah quoi ?

 

Sa femme : Ah bah !

 

Le mari : Ah bah ?

 

Sa femme : Ah bah ! Manquait plus que ça, manquait plus qu’ils viennent chez moi ceux-là. Ils n’ont qu’à rester chez eux !

 

Le mari : Y a la guerre chez eux.

 

Sa femme : Alors qu’ils aillent attendre de repartir ailleurs qu’ici. Il y en a déjà beaucoup trop des étrangers dans le coin.

 

Le mari : Tu en as vu toi ?

 

Sa femme : Ah bah oui !

 

Le mari : Où ça ?

 

Sa femme : A l’épicerie…

 

Le mari : Tu vas encore chez ce voleur de femmes ce désossé du cerveau ce testicule ambulant alors que tu sais que je lui crache dessus ?

 

Sa femme : Il a de beaux vernis et puis toi tu ne me caresses plus le dos depuis longtemps. Mais il y a des étrangers dans son épicerie... Puis il leur sourit.

 

Le mari : C’est qu’il a le dentier lubrique ce pouilleux !

 

Sa femme : Il y en a une que je vois souvent. Elle se sert gratuitement du verni rouge. Je l’ai bien vue avec son sourire sucré là.

 

Le mari : Rien n’est gratuit il est pourri du caleçon cet épicier je te dis.

 

Sa femme : Tu as raison, finalement, je vais changer d’épicier.

 

Le mari : C’est déjà ça de pris !

 

Sa femme : Et puis il a pris une étrangère pour gérer sa caisse à la place de l’ancienne caissière, la veuve, tu te souviens, parait qu’elle est beaucoup moins chère à payer au mois l’étrangère, même qu’elle demande même pas à être inscrite à la caisse nationale de sécurité sociale.

 

Le mari : Il est pourri mais il fait de bons calculs ton ancien épicier.

 

Sa femme : L’intranquillité me guette d’un coup, là. Avec eux qui arrivent. Où exactement vont-ils attendre avant de repartir?

 

Le mari : Je ne sais pas quelque part.

 

Sa femme : Ils pourraient venir errer sous ma fenêtre pendant que je me déshabille, et me reluquer pendant que je me lave, l’oeil visqueux, et se moucher dans leurs doigts puis essayer de me toucher, de me palper, de me lécher la langue et puis ils sentiraient mauvais.

 

Le mari : Possible je ne l’avais pas imaginé comme ça.

 

Sa femme : Tu avais imaginé quoi ?

 

Le mari : Rien l’imagination n’est pas mon fort.

 

Sa femme : Alors tu ne conçois pas le danger !

 

Le mari : Quel danger ?

 

(...)

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