Pauline Peyrade > A la carabine

 L’arme et la cible. Une histoire de viol sur fond de fête foraine, une histoire de réappropriation de la violence par la femme qui en fut victime, une histoire de dérapage et de réparation, au goût de sang et de métal. 

Une partition composite à l’écriture économe et tenue pour faire entendre la violence de l’acte non consenti, de l’humiliation et de la confiance trahie. 

 

Extrait :


1. BOUCHE 

Suce, connard.

 

2. PRISE EN MAIN

 CLAVICULE

Les ballons multicolores tremblent dans la cage. L’un d’eux éclate.

 

CROSSE

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Ça se voit pas ?

- T’es toute seule ?

- Non. Je sais pas où sont les autres.

- Tu t’es perdue ?

- Je crois qu’ils sont aux autos tamponneuses.

- Ah.

- Oui.

- Et toi, t’aimes pas les autos tamponneuses ?

- Je préfère ici.

- Pourquoi ?

- Parce que tu peux gagner quelque chose.

- Ah.

- T’en as touché combien ?

- Chut.

- Quoi ?

- Tais-toi.

- Je comprends pas.

- Tu me parles. Ça me déconcentre.

- Oh.

- Il est par-là, ton frère ?

- Il est aux autos tamponneuses. Pourquoi tu vas pas le voir ?

- Ta mère m’a dit de te surveiller.

- Genre.

- Si, c’est vrai. Elle m’a dit, va voir ce que fait la petite, j’aime pas qu’elle traîne à la fête foraine.

- Je fais rien de mal, je joue.

- Elle dit que ton frère te surveille pas comme il faut.

- Il sait que je suis là, je vais nulle part, ça va.

- Elle a raison, ta mère. Il devrait pas te laisser toute seule.

- C’est bon le toutou ? On dirait un chien de flic pour mamans.

- Quoi ?

- Tu vas me déconcentrer et après je vais perdre. Laisse-moi tranquille.

- Tu la tiens pas comme il faut.

- De quoi ?

- C’est pas avec les bras, faut la poser contre ton épaule.

- D’accord.

- Avec les bras, tu vas trembler, ça va partir à côté.

- C’est bien.

- Tu m’écoutes ?

- Je gagne, je sais très bien faire.

- Tu veux gagner quoi ?

- Je te dirai pas.

- Pourquoi ?

- Parce que. C’est pas ta vie.

- C’est bon, je suis gentil, parle pas comme ça.

- T’as pas besoin de m’expliquer, je me suis entraînée.

- Je peux le faire, si tu veux.

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce que.

- Je peux tirer, je peux te gagner ce que tu veux.

- Pour de vrai, laisse-moi essayer.

- Paie-toi une partie tout seul.

- Allez.

- Je veux gagner, moi.

- Je vois pas ce que ça change.

- Si c’est toi qui gagnes, ce ne sera pas à moi.

 

TEMPORAL

Un plomb s’écrase au fond de la cage. Fait chier.

 

ENTRAINEMENT 1

Tu te bandes les mains.

Tu souffles.

Tu serres les poings.

Tu frappes.


3. LANGUE

Tu te demandes si c’est une vraie ? D’après toi ? Elle dit quoi, ta langue ? Lèche, un peu. Tu sens le métal ? Il est comment, il est chaud ? Si je le colle, là, desserre les dents, si je le colle contre ta langue, comme ça, c’est comment, ça brûle ? Ouvre grand, je veux voir ta langue, fais aaaah, comme chez le docteur. N’avale pas ta salive, ça passe toujours mieux avec un peu de salive, quand t’avales tu serres la gorge, tu serres les joues, tu vois, y a tout qui se ferme. Ouvre grand, plus grand que ça, je veux voir tout au fond. Tu sens le métal, c’est du vrai, ça a le goût de quoi ? Ça a le goût du sang ? On dit que le sang a le goût du métal alors est-ce que le métal a le goût du sang ? Desserre les dents, connard, je t’explose la mâchoire.

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