Tristan Choisel > Ce qui arrive à Francis Lhomme

Francis Lhomme est psychiatre. Un jour il se réveille incapable de prendre une seule décision. Aucun choix ne lui semble meilleur qu’un autre. La solution, pour lui, est de s’en remettre à ceux qui l’entourent. Réagissant à tous types d’injonctions, il se lance peu à peu dans un dangereux périple, obéissant sans discernement au meilleur et au pire...

Un conte d’aujourd’hui, étrange et saisissant, qui nous met en garde contre notre état d’irrésolution face à un avenir de plus en plus difficile à inventer.

 

Extrait :

(...)

Nuit. Dorine, dans son lit, endormie.

Brusquement, elle s’agite. Un cauchemar, semble-t-il.

 

DORINE. Non ! laisse-moi !

Arrête ! ne me touche pas !

Fous le camp.

 

Elle bouge encore un peu, puis se calme.

_______

 Matin. Francis, dans le lit, éveillé. Adélaïde passe par là.

 

ADÉLAÏDE. Il est quelle heure ?

FRANCIS. 8h35.

ADÉLAÏDE. Tu vas être en retard.

FRANCIS. Oui.

ADÉLAÏDE. Tu t’es rendormi ?

FRANCIS. Non.

ADÉLAÏDE. Tu n’as pas vu l’heure ?

FRANCIS. Si.

ADÉLAÏDE. Alors pourquoi tu te lèves pas ?

FRANCIS. J’y arrive pas.

ADÉLAÏDE. Tu n’y arrives pas ?

FRANCIS. J’arrive pas à décider s’il faut ou non que je me lève. 

ADÉLAÏDE. Tu ne te sens pas bien ? tu as de la fièvre ?

FRANCIS. Je vais très bien, sauf que j’arrive pas à choisir entre rester au lit ou me lever.

ADÉLAÏDE. Francis, qu’est-ce que tu racontes ?

FRANCIS. Je sais qu’on n’est pas dimanche, je sais qu’on est jeudi, je sais que j’ouvre le cabinet à neuf heures, mais j’arrive pas à choisir entre me lever ou rester au lit.

ADÉLAÏDE. Lève-toi, Francis.

Il se lève.

_______

Dorine est assise au bord du lit. Elle pleure.

_______

Adélaïde et Francis, dans la cuisine. Francis regarde la cafetière électrique qui fait son travail.

 

ADÉLAÏDEAu téléphone.

Florence, c’est Adélaïde. Je vais être absente ce matin, peut-être même cet après-midi. Mon mari a un problème de santé, je sais pas ce qu’il a. Le temps qu’il voit un médecin je peux pas le laisser seul, c’est absolument pas envisageable. Je vous tiens au courant. Au revoir. Merci.

Maintenant que le café est passé, tu peux te le servir, dans un bol, comme tu fais tous les matins. Tu sors un bol du  placard.

Tu refermes le placard. Sur la table, tu poses le bol. Tu verses le café dans le bol.

Pas de sucre.

Stop. Tu rends la carafe à la cafetière.

Tu peux à présent sortir le beurre du frigo, sortir un couteau à beurre du tiroir, te couper des tranches de pain avec le couteau à pain – ferme le frigo –, te faire des tartines avec le beurre, avec le couteau à beurre – ferme le tiroir. Non c’est moi qui vais couper les tranches de pain, toi tu vas les tartiner avec le beurre, avec le couteau à beurre.

Tu peux t’asseoir. Tu choisis de t’asseoir pour beurrer les tartines, et pour manger.

FRANCIS. J’ai envie d’aller aux toilettes.

ADÉLAÏDE. Alors tu y vas, Francis, tu vas aux toilettes.

Il faut pas que je te dise comment tu dois t’y prendre, j’espère.

FRANCIS. Si.

ADÉLAÏDE. Francis, tu vas savoir décider ce que tu dois faire aux toilettes.

FRANCIS. Non.

ADÉLAÏDE. Francis. Tu vas savoir, voyons.

FRANCIS. Non.

ADÉLAÏDE. Mais si, Francis, tu vas savoir.

FRANCIS. Non, je te dis.

ADÉLAÏDE. Francis. Tu vas pas savoir ?

FRANCIS. Non.

(...)

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