Alice Zeniter : “L’homme est la seule erreur de la création”

Un couple s’interrogeant sur la distance qui les sépare, une famille dont la mère s’est enfermée à la cave, une star racontant son petit déjeuner, un concours de suicides, un atelier découverte des zones érogènes, la télévision qui s’invite à votre table… 

Sous forme impromptue, une plongée dans le monde si contemporain de la dépression ; une écriture libre et décalée pour décrire nos travers, nos névroses et révéler l’aspect potentiellement anxiogène de notre modernité et de nos supposées émancipations.

extrait :

Louis :

Il faudrait que je me tue, mon amour.
Pour faire enfin quelque chose jusqu'au bout. Tu m'entends ?
Pour arrêter de mourir à moitié, sans arrêt, dans le métro, sur les trottoirs.
Pour arrêter d'être ce kit montable et démontable à l'envi, corvéable.
Je suis une cathédrale en maquette 3D avec les couleurs peintes à la main. Tu as déjà vu courir une cathédrale?
Pour arrêter d'être en chantier, en pièces détachées, en guerre.
… 

Anna:

Je ne comprends rien à ce que tu racontes.

Louis :

Il faudrait que je me tue pour que le silence arrive.
Arrêter d'essayer d'être avec les autres.

Anna :

Est-ce que tu as la brosse à dents dans la bouche ?

Louis :

Ma vie, c'est du Ikéa mais avec une quête de sens.

Anna :

Parce que je ne comprends rien.

Louis

Tu as déjà senti la distance de Planck ?
Entre toi et moi, quelle que soit l'envie que tu puisses avoir de te coller à moi comme une seconde peau... Quelle que soit l'envie que je puisse avoir, mon amour, de te prendre dans mes bras. Toujours ce courant d'air, même pas sur nos peaux mais à l'intérieur de nous, à l'intérieur de la matière, et qui rend le désir ridicule. Ou nous rend inaptes au désir, comme tu veux.

Anna :

Je n'ai aucune idée de ce dont tu me parles.

Louis :

D'accord.

Anna :

Peut-être que tu devrais poser ta brosse à dents.

Louis :

On va faire une petite expérience.

Anna :

Hm-hm.

Louis :

Tu vois, tes index... Tu les mets devant toi, et puis tu les rapproches, tu les rapproches, encore, encore, encore...

Anna :

Ils se touchent là, Louis, je ne peux pas les rapprocher plus.

Louis :

Ils se touchent ?

Anna :

Oui.

Louis :

Non.

Anna

Ils ne se touchent pas ?

Louis :

Non. Ils ne se touchent pas. Tu crois qu'ils se touchent. Mais rien ne se touche. C'est ça la distance de Planck.
Il y a toujours 10 puissance -35 mètres de solitude. C'est entre les atomes, tu n'y peux absolument rien. Tu crois que tu touches l'autre alors qu'en fait vos atomes respectent toujours une distance minimale.

Tu comprends ? Il faudrait que je me tue pour oublier la distance de Planck

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