Emilie Leconte : “L’accident de Bertrand”

Bertrand se retrouve subitement immobilisé au sol, sans raison particulière et pour un temps indéterminé, ce qui va éveiller la curiosité de certains : parents, voisins, médecin de famille, amie d’enfance, psychologues, journalistes et famille éloignée. De visites en examens scientifiques, puis de médiatisation en récupération politique, sa notoriété va devenir mondiale. Révolutionnera-t-il pour autant notre façon de vivre ?

 

Une fable menée tambour battant sur le ton de l’absurde et du grotesque pour rire de la frénésie de notre monde. Un objet singulier.

 

 

extrait

 

 

1.

LE NARRATEUR / BERTRAND

 

Bertrand perfore une page de journal à l’aide d’une perforeuse. Les confettis tombent au sol.

 

LE NARRATEUR : Bertrand est occupé, comme à son habitude, à confectionner ses propres confettis. Il se dit, en effet, que personne n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle.

En regardant bien Bertrand, debout au milieu de sa salle de séjour, on peut imaginer tout autour de lui une multitude d’objets : corbeille à papier, rallonge électrique, calendrier des postes, petits bouts de papier chiffonnés, miettes de pain, ficelle, punaises et autres petits objets inutiles...

 

Bertrand continue de perforer en silence. Noir.

 

 

2.

LE NARRATEUR / BERTRAND

 

Lumière. Bertrand est allongé au sol, au milieu des confettis.

 

LE NARRATEUR : Cet après-midi là, Bertrand se retrouve subitement étendu sur le sol de son appartement, dans l’impossibilité totale de se relever. Une force incroyable et inconnue le retient couché au sol. Il ne ressent pourtant ni douleur, ni fièvre, ni fatigue particulière et ne trouve donc aucune explication à cet étrange phénomène. Il décide alors d’effectuer une série de tests qu’il a déjà vu pratiquer par des secouristes sur les grands blessés.

 

Bertrand mord son index, montre du doigt le ciel, tapote sa cuisse puis fait le mort.

 

La série de tests s’étant parfaitement bien déroulée, la situation lui paraît d’autant plus surprenante.

 

 

3.

LE NARRATEUR / BERTRAND / LA MÈRE / LE DOCTEUR GOUDARD

 

LE NARRATEUR : Afin de comprendre ce qu’il s’est réellement passé, la mère de Bertrand se rend immédiatement sur place, accompagnée du Docteur Goudard.

 

LA MÈRE : C’est incroyable, il suffit que j’entre dans cette pièce pour avoir immédiatement envie d’être ailleurs. N’importe où. Chez le boucher, sur une botte de foin, en haut d’une grue ou sur un parking. Dès que j’entre ici, je suis perturbée. Je fais de l’eczéma et de la tachycardie. Et toi, tu n’as pas de fourmis dans les cuisses ou dans les avant-bras ?

 

BERTRAND : Non.

 

LA MÈRE : Pas d’oppression au niveau du bas-ventre ?

 

BERTRAND : Non.

 

LA MÈRE : Pas d’hypertension ?

 

BERTRAND : Non.

 

LA MÈRE : Eh bien on peut dire que tu as de la chance. Pas de suffocations ?

 

BERTRAND : Non.

 

LA MÈRE : Pas de suffocations... Mais alors tu t’es évanoui de plaisir, de paresse ou d’ennui ?

 

BERTRAND : Je ne sais pas.

 

LA MÈRE : Ce sont les petits chiens qui restent allongés au sol, les petits animaux... Tu aurais peut-être préféré t’asseoir à une table ?

 

BERTRAND : Non.

 

LA MÈRE : Et pourquoi n’es-tu pas en tailleur ou à quatre pattes ?

 

BERTRAND : Je ne sais pas.

 

LA MÈRE : Tu n’aimes pas être assis ?

 

BERTRAND : Si

 

LA MÈRE : Et pourquoi ne pas s’affaler dans la salle de bain ? Tu n’aimes pas les baignoires ?

 

BERTRAND : Pas spécialement.

 

LA MÈRE : Et ta chambre, tu ne l’aimes plus ? La couleur des murs te rend triste ?

 

BERTRAND : Non.

 

LA MÈRE : Et le gris, tu aimes toujours le gris ?

 

BERTRAND : Oui.

 

LA MÈRE (inquiète) : Et le bleu ?

 

BERTRAND : Aussi.

 

LA MÈRE : Qu’en pensez-vous docteur ?

(…)

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