Mustapha Kharmoudi : «  Ce rien de courant d’air qui fait qu’on a froid » 

Dans la cellule d’un commissariat, suite à un contrôle de police qui a mal tourné, deux hommes s’affrontent : un jeune français d’origine étrangère et un vieil homme exilé en France depuis de longues années. Deux hommes à l’identité fracturée qui nous donnent à entendre deux points de vue sur l’exil et l’intégration : faut-il ou non accepter les lois d’une République qui ne vous laisse aucune place ? Faut-il continuer à s’indigner ou au contraire s’adapter ? 

Une écriture d’une rare précision pour une parole peu entendue au théâtre.

extrait :

Le jeune :

j’en ai marre de ces pourris de flics qui se prennent pour des héros de guerre à chaque fois qu’ils croisent un jeune qui leur revient pas à cause de sa gueule d’étranger, à cause qu’il correspond pas à leurs critères ; je les déteste et je finirai un jour ou l’autre par en flinguer un ou deux, histoire de me venger de ce qu’ils me font subir depuis que ma mère elle m’a mis au monde dans cet enfer que les vieux ils nomment paradis, et histoire de venger la mort de mon pote qu’a reçu une balle soi-disant involontaire, comme l’a dit le juge de merde pour couvrir son collègue de flic de merde ; et je hais aussi ce troupeau de morts-vivants qui les laissent faire ; vous avez vu tout à l’heure, vous étiez le seul à intervenir pendant que tous ces vieux vicieux ils avaient du mal à cacher leur joie ; ouais, dans ma tête à moi, je les entendais applaudir ces pourris qui soi-disant ils les protègent en m’arrêtant, en arrêtant le dangereux délinquant que je représente à leurs yeux, leurs yeux aveuglés par la vieillesse et par la jalousie de plus pouvoir danser comme un jeune, de plus pouvoir rire aux éclats comme ils font ces étrangers qui nous arrivent tout frais de leurs enfers, souvent esquintés par des guerres aveugles et débiles, et du coup ils savent profiter de la moindre petite joie ;

Le vieux :

je disais donc que j’ai vu les policiers te malmener, c’est certain ; et j’affirmerai le moment venu qu’ils n’avaient pas besoin d’utiliser autant de brutalité pour faire leur travail, euh, pour te contrôler au cas où ils avaient eu vraiment besoin de te contrôler, ce qui reste à démontrer bien sûr, car alors il leur faudra expliquer pourquoi ils t’ont choisi toi et uniquement toi du milieu de la foule : évidemment ils ne sauront pas quoi répondre sauf à reconnaître que tu étais le seul à avoir une démarche et un regard différents, toi seul avais l’air de quelqu’un à contrôler ; car moi, malgré des origines aussi étrangères que les tiennes, je suis maintenant à l’abri de ces désagréments à cause de mon âge avancé et de ma situation ; tout cela bien sûr milite en ta faveur, et je ne manquerai pas de le souligner quand ce sera à mon tour de parler ; je dirai que j’ai été intrigué par la bousculade, et que je me suis approché du lieu d’attroupement histoire de voir ce qu’ils avaient à te reprocher, ce qu’ils te voulaient au juste ; attention, je n’ai pas succombé à quelque voyeurisme malsain de badaud, non, je n’ai pas ce vilain défaut ; moi j’agis toujours pour la bonne cause, au cas où ma présence pourrait aider les victimes de possibles bavures policières ; et force est de constater que tu en auras le plus grand besoin maintenant que tout a dégénéré, et maintenant que je suis mêlé à cette affaire au même titre que toi ;

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