Aude Sabin : «  JH cherche fusil » 

Hélène à la suite d’« un vague découragement » prend un fusil et se tue. A travers les méandres de la chronologie, se réorganisent les moments de sa vie de jeune épouse : un mari médiocre et puéril, qu’elle a choisi parce qu’elle ne l’aime pas, pour éviter de souffrir si elle le perd, une belle-famille rustre et vulgaire, et un ami qui pourrait la sauver mais qu’elle refuse de suivre par peur du bonheur et de la désillusion…

Une pièce à la psychologie fine, jouant de la farce et de la tragédie, sur la peur de vivre.

extrait :

Sons de télé en fond. Le père et le fils ne savent quoi se dire. Pourtant les souvenirs affluent. Mais se voir vieillir si définitivement leur cloue le bec. Les morfond, pour ne pas dire, les tue.

La vieille revient avec un plateau d'amuse-gueules et/ou d'on ne sait quoi et on s'en fout. Elle fait ce qu'elle peut. Avec Le (The) sourire.

LA VIEILLE

Ah ! Enfin. (Dès qu'il entend la voix de la Vieille, le fils bondit, se lève.)  Bonjour ! Enfin, te voir ! Si longtemps. Si longtemps ! J'ai dit à ton père que j'en avais des sueurs, « des sueurs de trouille » disait maman. Ton père, lui, il m'a parlé température. De 22 degrés il m'a parlé. Oui, 22, comme les flics. Me faut des mots moi, pour accompagner les chiffres. Ton père, lui, se sent bien qu'encadré de chiffres. Hein ? Pas vrai ?

LE VIEUX

On s'en fout. (devant une réaction, peut-être surprise, peut-être indignée, le Vieux se reprend) Oui. Et puis ? Hé ! Comment savoir avec ta mère ? Et quelle différence ? Chacun cherche là où ça l'arrange de retrouver ce qu'il a perdu, pas vrai ?

LE FILS

Ah, ah. Sans doute oui ! 

LA VIEILLE

Mais tu es là, c'est bien. Tu es seul ? Alors, finalement ?

LE FILS

Oui, comme je disais à Papa : malade. Malade comme un chien. D'un coup. Bon, alors je suis venu seul, alors. Mais elle s'excuse, enfin elle était très déçue. Elle m'a dit. Elle a dit. Déçue, oui.

LA VIEILLE

Oui oui d'accord. Malade, hein. De ce temps là, alors c'est dommage. Tant pis. On en aura plus à manger alors ! Tu as fait bonne route ?

LE FILS

Oui.

L'horrible poids de l'« absolument rien à se dire », un temps qui rend tout le monde, vous aussi, mal à l'aise. Le vieux hausse un peu le son de la télé, pour faire taire le silence. Soupirs et gémissements d'un acte d'amour (c'est un grand mot). Malaise grandissant.

LA VIEILLE, se met à pleurer brusquement

Pourquoi tu viens jamais nous voir ? Pourquoi tu nous as oubliés, laissés tomber ? Pourquoi tu nous détestes tant ? Ton père, vivre avec ton père. J'en peux plus, il me dégoûte, il pue, il crache, il ronfle. C'est devenu un vieux, un vieux dégueulasse comme le sont tous les vieux. Je voudrais qu'il crève. Je voudrais le tuer. Mais seule c'est encore pire. Parce que toi, tu n'es plus là, et tu ne viendras jamais me voir, même si je suis toute seule abandonnée, attendant la mort en bavant. Je – s'arrête de pleurer aussi brusquement, sourit. On dirait que personne n'a rien entendu, en tout cas, personne n'a bronché. Gaiement (de manière guillerette nous pourrions dire) – On passe à table ?

LE VIEUX ET LE FILS, de concert

Oui, maman !


.2. Ailleurs, l'enfer, la place de la mort. Confession posthume.

HELENE (pour l'instant, et peut-être pour toujours)

Je ne cherche ni à le décevoir, ni à le tester. Ce matin, j'ai senti comme un vague découragement. Je dis « vague ». Un vague découragement peut vite faire penser à un « faible » découragement, « faible », comme petit, comme sans gravité, ou devrais-je dire sans conséquence. Peut-être me faudrait-il plutôt employer « une vague » de découragement. Une vague, non, ça ne représente rien, rien de ce que j'ai pu ressentir. Une vague, c'est brusque et violent, ou alors c'est régulier et monotone. Non, un vague découragement, c'est ça, vague parce qu'à peine audible, visible. Mais là, définitivement là. Te coupant de toute force et de toute décision. Comprenez : ce n'était ni méchanceté ni calcul de ma part, c'était simplement un vague découragement. Et si, lors de ce vague découragement, j'ai pris la peine et le temps d'en finir, ce n'était ni méchanceté ni calcul, comprenez-moi bien, s'il vous plaît. C'était purement et simplement parce que là, une fois seule, une fois lui en route, vers ses parents, vers ses parents en route vers la mort, une fois lui parti, eh bien, je ne savais pas quoi faire d'autre. Point. Non c'est tout vraiment. Je ne savais simplement pas quoi faire d'autre. Je conçois que ça puisse paraître absurde vu comme ça, vu de brut en blanc comme ça de l'extérieur. Je conçois qu'on puisse se dire que quand même, non, ça ne vient pas comme ça de rien et que quand même on a dû y penser avant et planifier et s'arranger pour que etc. Mais je vous jure pourtant que je ne ressentais à la base qu'un « vague » découragement, et que lui, ensuite, une fois parti, je me suis demandée QUOI faire et qu'ensuite un temps un peu mort a suivi sans qu'aucune idée spéciale ne me vienne à l'esprit et qu'ensuite seulement j'ai pensé, mais très vite, « je vais en finir », et qu'ensuite, alors, je l'ai fait. Bon, rien d'extraordinaire, alors. Rien à déclarer alors. Plus vite, dans un débit que l'on pourrait qualifier d'énervé. Alors, pourquoi toutes ces questions, alors ? Pourquoi toutes ces PUTAINS DE QUESTIONS, alors ? Et moi j'ai envie de vous dire : et pourquoi pas ? Ou alors : et pourquoi toi, par exemple, t'as décidé de te masturber alors que tu regardais une émission de variétés quelconque ? Et pourquoi toi, là, t'as décidé de te masturber alors que tu rangeais tes courses dans le frigo ? Et tiens, pourquoi toi t'as décidé de te masturber alors que tu repensais à la fête de chez Étienne, prévue en octobre ? On me répondra : pulsion, instinct. D'accord, d'accord, et moi je dis alors, PAREIL, pulsion, instinct, si ça vous arrange. Juste envie de rien faire d'autre. Juste une idée qui apparaît comme ça, et puis. Et vous ? Elle est pas apparue comme ça cette putain d'idée ? Vous avez essayé de vous l'enlever de la tête cette putain d'idée ? Eh bien non, d'accord. Elle s'est insinuée en vous et plus aucune question ne s'est posée. Juste comme un devoir ou un droit de l'accomplir et point. Et le reste, la femme, l'amante, votre mère, votre éducation ou même votre religion peuvent bien aller se faire foutre. À cet instant ils n'existent pas, ne sont pas dans votre esprit et heureusement, et DIEU MERCI ! Vous le faîtes et puis c'est tout, et vous ne vous sentez pas coupables pour autant. Bon. Alors. Alors moi c'est pareil. J'ai senti un « vague découragement ». J'ai dit : « Non, pardon, écoute, je me sens, mal je crois, et je vais rester là. Non, pardon, je me sens, mal, écoute, et je ne vais pas venir. Et je vais rester. Et pourtant. Non, je suis déçue. Je suis réellement déçue, écoute, écoute moi, mais je me sens tellement mal. » J'ai dit ça. Sur le moment vraiment, je le pensais, vraiment, je n'étais pas en train d'envoyer un mensonge ou quoi que ce soit. Je disais ma vérité. Celle d'après est peut-être tragique ou infâme ou comme vous voulez l'appeler, elle n'en reste pas moins MA PUTAIN de vérité.

 

.3. Qu'est ce qu'on se marre.

LE VIEUX, LA VIEILLE ET LE FILS réunis

Ah ah ah ah ah ah ah !!!

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